Lundi 28 janvier 2013 | 2003 - 2013, 10 ans d'expos photo |
Il
y a dix ans, en janvier 2003, avait lieu ma première exposition
photographique, à la galerie Art Vivant, de La Roche sur Yon (85).
L’été précédent j’étais parti seul à travers l’ex-Yougoslavie, armé
d’un vieux Zenit russe à l’obturateur approximatif. À l’origine, je
voulais faire un état des lieux de cette région, sept ans après la fin
du conflit qui l’avait dévasté. Mais à mon retour, après avoir fait subir à mes films un développement « énergique », en cherchant à pousser le grain du film jusqu’à sa limite, j’ai constaté que les images obtenues sortaient complètement du cadre classique du reportage ou même de la street photography. En brouillant une grande partie des repères spacio-temporels de ces photos, le grain nous donnait à voir une autre région, plus vraiment en guerre, mais pas réellement en paix non plus : un pays intermédiaire. A l’occasion de l’anniversaire de cette première exposition, il m’a semblé important de mettre en ligne ce travail, dans une nouvelle version incluant de nombreuses images inédites. Et c’est bien sûr également pour moi l’occasion de remercier tous ceux et celles qui, depuis dix ans, m’ont accompagné dans ce chemin photographique qui est le mien, sans leurs conseils, leur confiance et leurs encouragements, tout le reste n’aurait pas été possible, tout simplement. | |
Mercredi 3 octobre 2012 | "A partir d'aujourd'hui la peinture est morte!" |
Le
premier octobre dernier, Kodak a annoncé l'arrêt de la production du
film ultra-sensible P3200. Cette annonce, qui fait suite à celle de
mars dernier concernant la fin des films inversibles couleurs, rallonge
encore un peu plus la liste des produits argentiques disparus. Les
raisons invoquées par la firme de Rochester sont connues depuis
longtemps : le manque de demande qui fait que ses produits cessent, les
uns après les autres, d’êtres rentables. Comme d'habitude, ce genre de nouvelle est inévitablement suivi par un concert de plaintes et de grognement en provenance du petit monde de l'argentique. Car c'est bien connu, la photo c'était mieux avant, le numérique c'est le mal, l'argentique c'est le bien et, après tout, si Kodak coule ce n'est que justice puisque ce sont eux qui ont ouvert la boîte de Pandore en inventant le premier appareil photo numérique. Et bien pour ma part, je n'ai absolument aucune envie de joindre ma voix au concert. Non que je ne me sente pas concerné, bien au contraire : je ne travaille qu'en argentique et je suis évidemment inquiet de savoir si je vais pouvoir continuer à trouver des consommables. Mais je me refuse à rentrer dans un débat alimenté principalement par ce lieu commun consistant à opposer les deux pratiques l'une contre l'autre. Et j'irai même plus loin en affirmant que la révolution numérique est ce qui est arrivé de mieux à la photo en général et à l'argentique en particulier. Lorsque la photographie à été présenté au monde en 1839, nombreux ont été ceux qui ont prédit la fin de la peinture, face à ce nouveau médium tellement plus précis et rapide. Bien au contraire, affranchis des portraits académiques et des peintures historiques, les peintres purent alors pour notre plus grand bonheur se tourner vers d'autres sujets et d'autres sources d'inspirations. De leur côté, les photographes, désireux d'êtres reconnus comme artistes à part entière, vivaient un véritable bouillonnement esthétique et technique d'où émergèrent les bases de la photographie moderne. Il est d'ailleurs intéressant à constater que comme pour les pionniers du XIX° siècle, les premiers photographes de l'ère numérique ont dû batailler pour faire reconnaître leurs travaux comme oeuvres d'art à part entière. De même que l'on retrouve aujourd'hui autour du format .raw les mêmes débats qui opposèrent les adeptes du pictorialisme et les partisans de la straight photography. Il faut croire que l'histoire à parfois bien tendance à se répéter. Ainsi, loin de tuer la peinture, la photographie l'a au contraire libérée dans un vaste mouvement d'émulation réciproque que l'on retrouve dans le statu quo actuel entre numérique et argentique. Nous vivons une période de transition au cours de laquelle les deux médiums se définissent encore largement l'un par rapport à l'autre. Obturateurs, optiques, profondeur de champs, boîtiers, mise au point, cadrage, grains ou pixels, etc... mis à part le support sensible, il n'y a pas vraiment de différence entre numérique et argentique, et passer de l'un à l'autre reste très facile. Et c'est cela qui est très intéressant, car cette similitude crée de fait un besoin de différence qui génère une multitude de pratiques nouvelles. Non seulement la plupart des procédés anciens sont remis aux goûts du jour, mais on assiste également à un foisonnement d'expérimentation tant au niveau des moyens techniques que des styles de prises de vues. Vraiment nous vivons une époque fertile et je ne voudrais rater cela pour rien au monde, même si on me proposait un ticket pour le bon vieux temps du kodachrome. Mais l'omniprésence actuelle de l'industrie numérique à cependant tendance à dresser un piège intellectuel dans lequel on peut facilement tomber, et c'est celui du choix de la différence pour la différence et non pour les qualités intrinsèques du médium. Le photographe qui fait aujourd'hui le choix de travailler en argentique se place en effet dans une situation paradoxale. Pour lui l'usage du film est une réalité concrète, inscrite dans sa vie quotidienne. Et a moins qu'il n'ait fait le choix de vivre dans une grotte il parviendra, au travers d'une communauté vivante et dynamique, à se fournir facilement en consommables. Certes, les prix ont globalement augmenté, et certains produits ne sont plus disponibles, mais la nature et l'économie ayant horreur du vide, ils sont remplacés par d'autres qui contribuent à stimuler le marché. Et même si le grand public n'a plus qu'une vague idée qu'il est encore possible de photographier sur pellicule, il garde un regard bienveillant et nostalgique sur cette technologie. Car à l'heure où la crise économique frappe nos sociétés, les photographies en argentique nous rappellent, au même titre que le disco ou le minitel, un âge d'or où les choses étaient plus durables et où la vie semblait plus facile. Mieux encore, avec la mode du vintage, la photographie à l'ancienne est carrément devenue partie intégrante d'un nouveau style de vie qui se veut, le marketing aidant, plus cool, plus branché, et en opposition avec la société de consommation dont l'avatar serait, bien entendu, la photographie numérique. Et l'on en arrive ainsi à ce constat paradoxal : plus la photo argentique devient difficile à pratiquer, et plus elle devient à la mode. Pour le moment, cette mode représente plutôt une bonne chose, elle relance la vente de films, de papiers, de tirages, mes fournisseurs ont le sourire et moi aussi. Mais le problème des modes est que par définition elles ont une fâcheuse tendance à passer. Et que se passera-t-il lorsque la crise prendra fin, car il faut bien qu'elle se termine un jour, et que les gens seront trop occupés par l'avenir pour être encore nostalgique de leurs diapositives? On ne peut pas baser sérieusement une démarche sur une simple mode, de même que l'on ne construit rien de bon par opposition. Et c'est à mon sens la véritable menace qui pèse actuellement sur la photographie argentique, celle de s'enfermer dans un ghetto culturel rongé par un conservatisme et un anticonformisme primaire. Je pense au contraire qu'il est essentiel de s'interroger sur ses propres pratiques, de se remettre en question et d'être capable de définir clairement sa démarche et ses choix esthétique de manière positive, plutôt que par un simple souci de s'écarter du main stream. Personnellement, il me semble très peu probable que la photographie argentique disparaisse totalement. Mais elle va évoluer, tout comme la photographie numérique est d'ores et déjà aussi en train de changer. Et je m'interroge d'ailleurs sur l'influence que vont avoir des appareils comme le Lytro sur l'avenir de la photo numérique. À mon avis cette technologie, qui semble encore assez confidentielle aujourd'hui, annonce un changement tel dans la photographie, qu'il est probable qu'elle creusera alors réellement un fossé entre l'argentique et le numérique. Et c'est peut-être ce qui pourra arriver de mieux. Ainsi photographies argentiques et numériques pourront acquérir une autonomie propre, tout en continuant à évoluer, au même titre que le dessin et la peinture. Voilà pourquoi les annonces régulières de la fin des produits Kodaks me laissent finalement assez indifférent. Je suis persuadé que la photographie argentique ne va pas disparaître car elle réponds à un besoin, tout simplement. Au contraire, je sais qu'elle va encore évoluer. Je ne sais pas encore exactement comment cette évolution se fera, mais cela promet d'être intéressant alors je veux être capable d'en faire partie, plutôt que de m'arque bouter sur mes propres certitudes comme cet auteur anglais qui, se plaignant des progrès de la photographie, évoque « une armée de photographes qui grouillait à la surface du globe, photographiant des sujets de toutes sortes, de toutes formes et de toutes dimensions, sans s’arrêter un seul instant pour se demander si ceci ou cela était artistique. Ils repèrent une vue qui, semble-t-il, peut plaire, l’appareil est braqué, la photo prise ! Pas de pause, pourquoi hésiter ? », c'était en 1893 lors de l'apparition des premières plaques sèches... |
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